9.11.13

Tu seras un homme, gamin

"Ne mange pas trop vite"
“Fais attention en traversant”
“Ne parle pas aux inconnus”
“Ne commence jamais la cigarette”
“Mets des capotes”
“Ne bois pas dans un verre qui n’est pas le tien”
“Ne conduis pas bourré”
À chaque âge, on rajoute un conseil, une mise en garde, un ordre, une recommandation.
On la répète plusieurs fois. Petits, parce qu’ils n’écoutent rien, ces anarchistes. Plus grands, parce qu’il faut d’abord répéter la recommandation seule, face au miroir de la salle de bains, en tentant différentes approches :
“Alors, tu as maintenant 14 ans, je voulais te parler de sexe.” Non, trop direct.
“Alors, tu connais mon pote Bruno, qui est séropositif ?” NON PUTAIN.
“J’ignore si l’ipséité d’un coït t’est déjà apparue intrinsèquement mais…” OH BORDEL.
Des heures de torture mentale pour finir par un “Tiens, voilà des capotes. Ne te sens pas obligé d’avoir des relations parce que tu as des capotes, mais si tu as des relations, mets des capotes.
ET NE FAIS PAS DES BALLONS AVEC, IMBÉCILE”
Et puis il y a d’autres recommandations, celles qu’il ne faut pas dire, qu’on ne trouve pas dans les magazines Psychologie ou Parents, celles qui outrent les copines, celles qu’on ne peut même pas répéter face à un miroir, de peur de ne plus trouver le courage de les faire.
"Tu es un garçon. Comme Spiderman, tu as un grand pouvoir et donc une grande responsabilité : tu risques, un jour, d’être physiquement plus fort qu’une femme. Voire que plusieurs femmes, voire que plein de femmes.
Cette force physique en plus, tu peux l’oublier et, un jour de colère, de déception, ou un jour où tu seras ivre peut-être, tu peux t’en servir.
Pour frapper.
Ou pour obtenir quelque chose de force. Un baiser ou un câlin qu’on te refuse. Alors que toi tu en avais très envie maintenant.
Tu as la responsabilité de ta force.
Ne frappe jamais une femme.
Entends et arrête-toi immédiatement si une femme te dit non.”
On dit aux jeunes filles de ne pas traîner tard le soir dans tel ou tel quartier, on leur refourgue mille et une astuces pour se protéger.
Mais on ne dit pas aux jeunes garçons de ne pas abuser de leur force.
Comme si, en le leur disant, on traitait tous les hommes de pervers.
Mais on leur dit bien de ne pas voler, les traite-t-on pour autant tous de voleurs ? On leur dit aussi de ne pas se battre, insinue-t-on par là qu’ils sont tous des psychotiques qui cassent le crâne du moindre interlocuteur qui n’est pas d’accord avec eux ?
Pourquoi il ne faudrait pas leur dire de ne pas frapper une femme, de ne pas violer une femme ?
Parce que nos propres enfants pourront se faire écraser s’ils ne regardent pas à droite et à gauche, peut-être ; ils pourront avoir un accident de voiture bourrés, ça arrive ; ils pourront voler une fringue, ces idiots, on sera inquiets, tristes, en colère, mais on comprendra, ça fait partie de la vie.
Mais nos enfants ne cogneront pas leur femme, ça non.
Ils ne violeront pas, ça non.
Ce sont d’autres gens qui font ça, ce sont des adultes tordus, sortis de nulle part, des marginaux, des pas comme nous.
Au risque de décevoir : chaque homme qui tue une femme de ses coups, chaque homme qui viole, a un jour été un enfant. Et il a eu des parents.
“Oui, mais des parents défaillants alors ! s’insurge-t-on. Pas des parents comme moi ! Moi, je suis équilibré(e), j’ai joué avec lui au moins une heure par jour, et je lui ai fait du gratin de chou-fleur maison.”
J’en ai vu des mères “normales” sur le banc du tribunal, qui regardaient leur fils dans le box de l’accusé. Durant les longues heures du procès, elles fixent tantôt leur enfant, tantôt leurs pieds. Je les ai vues passer en revue chaque journée de leur éducation, pour trouver l’endroit où elles avaient pu échouer. Elles se torturent à chercher, à vouloir comprendre, elles disent “Mais pourtant il est normal”.
Nos enfants peuvent battre une femme.
Nos enfants peuvent violer une femme.
Parlons à nos fils.
Un mot, ce n’est pas grand-chose, mais parfois, ça change beaucoup de vies.


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