10.9.14

    Mais, pour bien comprendre l’essence de ce livre, il faut sans doute partir de son titre : L’Art de la joie. 
Ce qu’incarne avant tout son personnage, c’est en effet l’histoire d’une lutte pour la liberté, d’une lutte qui est apprentissage de l’exercice quotidien de la liberté, qui se présente avant tout comme exercice de la volonté. Modesta, depuis les premiers temps de l’enfance, se caractérise en effet par un pouvoir d’autodétermination exceptionnel, qui se traduit dans le premier livre par l’élimination physique des obstacles à sa liberté, qu’ils soient religieux ou sociaux, représentés par les personnages de sœur Eleonora et de Gaia et, avant cela, de la mère elle-même.

    Avec le passage du temps et l’entrée dans l’âge adulte, les figures de l’aliénation se font de plus en plus subtiles, diffuses : la bienséance, le mensonge des mots, le piège de 
la vocation, le conformisme fasciste, l’ennemi que chaque femme est pour elle-même, pour sa propre féminité, et qui fera dire à Modesta que « la femme est ennemie de la femme comme et autant que l’homme ». Modesta lutte contre tout ce qui pourrait, socialement et intimement, entraver sa vitalité, son existence de femme et d’individu – on voit ici ressurgir l’arrière-fond anarchiste qui a formé Goliarda Sapienza, fille de syndicalistes, depuis sa plus petite enfance – individu pris dans toutes ses caractéristiques, liberté prise dans toutes ses acceptions : intellectuelle, sexuelle, maternelle, éthique, politique, et bien sûr sociale. 


     En effet l’auteur ne recule pas devant les thèmes les moins abordés de la littérature de son temps : 
la sexualité et le désir féminin, présents dès les premières pages du roman chez Modesta encore enfant, l’éducation des enfants, l’homosexualité, et l’avortement. A un autre niveau, à travers la critique d'un certain communisme dogmatique et imprégné d'une religiosité souterraine, et les limites de la psychanalyse, Sapienza se confronte aux deux monstres théoriques du XXe siècle, le marxisme et la psychanalyse, avec une clairvoyance rare pour l'époque.

— Chronique de Marie Fabre : L'Art de la joie, Goliarda Sapienza.
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