23.5.16

"J’en ai marre d’être femme. Ça y est, ça me fatigue.
Il y a quelques jours, je rentrais chez moi en courant pour semer un homme qui me suivait. Le lendemain, je découvre que des députés rient des agressions sexuelles dénoncées récemment. Le jour suivant, je vois qu’un prétendu comique fait des blagues sur les accusations de viol, les qualifiant de puritanisme. Tous les jours, tous les foutus jours, on me rappelle que je n’ai pas gagné au bingo des genres.
On ne devrait pas se plaindre. On devrait courber l’échine, apprendre à vivre avec tout ça, avec le sourire de préférence. Si on se défend, on se voit alors accusée. Visiblement beaucoup de monde n’a pas encore compris, ce que c’est d’être une femme dans cette société.

Être une femme, dans mon cas, c’est être sexualisée par des inconnus avant même d’envisager la sexualité. C’est découvrir le harcèlement à 11-12 ans, et vivre avec ensuite. Être une femme, c’est être cataloguée faible et fragile dès le plus jeune âge. C’est être cataloguée physiquement inférieure, quelles que soient ses capacités. C’est savoir depuis toujours, que dans la famille les femmes ont du tirer un trait sur leurs ambitions pour servir l’égo de leurs conjoints. C’est se battre deux fois plus pour faire reconnaitre ses compétences, pour gagner tout de même moins ou être traitée comme une stagiaire toute sa carrière. C’est devoir rendre des comptes au monde entier sur son intention ou non d’avoir des enfants, car on n’est pas pleinement femme, si on ne pond pas. C’est passer des années sans savoir si on est trop ou pas assez féminine avant de se rendre compte, avec un peu de chance, qu’on est juste ce qu’on veut. C’est entendre depuis toujours, des réflexions salasses, de la part de l’entourage comme d’inconnus. C’est être un objet sexuel, qu’on le veuille ou non. C’est calculer en permanence sa tenue en fonction du lieu où l’on va. Et quel que soit le choix final, être harcelée ou suivie. C’est avoir peur en permanence, quand on marche, quand on conduit, quand on se déplace. C’est craindre la nuit, craindre certains trajets. C’est déployer des dizaines de petites stratégies au quotidien dans l’espoir de ne pas être agressée, et l’être quand même. C’est être une salope à la moindre contradiction du navrant du coin. C’est intégrer peu à peu qu’on est une proie, même si on est une battante. C’est s’excuser en permanence, même quand on est responsable de rien. C’est être culpabilisée, voir son attitude analysée en toutes circonstances, y compris quand on nous a fait subir le pire. C’est se rendre compte qu’une bonne partie de l’autre moitié du monde nous considère à sa disposition. C’est voir sa colère décrédibilisée en permanence, alors que la colère d’un homme est souvent vue comme courageuse. C’est voir tous ses combats moqués ou niés, aussi graves et concrets soient-ils. C’est subir plusieurs oppressions à la fois, et rester droite. C’est savoir que beaucoup d’amies ont vécu des choses horribles, des viols, des agressions sexuelles, des violences physiques et psychologiques. C’est se considérer comme chanceuse, quand on n’a jamais été violée ni battue. C’est voir leurs séquelles, mais voir le reste du monde en rire, ou minimiser. C’est voir qu’on les culpabilise, elles, au lieu de blâmer leurs agresseurs. Être une femme, c’est savoir que même si on a la vie dure, il y en a plein d’autres qui vivent bien pire. Qu’il y en a qui, en plus du sexisme et du classisme, subissent le racisme, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie, le validisme… C’est savoir qu’on n’est et ne sera jamais comme il faut. C’est savoir qu’on essaiera toujours de contrôler notre corps et ce qu’on en fait. Que nos choix, même intimes, feront toujours l’objet d’un débat public. C’est voir d’autres femmes avoir intégré parfaitement les règles dominantes, et lutter, au contraire, pour que rien ne bouge. C’est perdre son emploi, ou ne pas en trouver, car on est femme. C’est savoir qu’on doit se battre, où qu’on soit dans le monde, si on veut obtenir les mêmes droits que les autres. Mais c’est aussi savoir qu’on doit se battre avec pédagogie, douceur, tendresse et volupté, sous peine d’être une hystérique radicale qu’on n’écoutera pas. Pire, qu’on moquera. C’est voir des personnes militer pour l’égalité des classes, mais contre celle des genres. C’est voir des personnes légiférer sur l’égalité des genres, et pratiquer son contraire. C’est découvrir chaque jour un nouvel obstacle, une nouvelle actualité qui prouve que la route est encore longue. C’est savoir qu’on ne verra pas l’égalité de son vivant, mais essayer, éperdument, de lui donner de l’élan.

Être une femme, c’est être fière à chaque victoire, même microscopique, car on ne la doit à personne d’autre qu’à soi. C’est ne jamais baisser les bras. C’est assumer, seule, en permanence, tout ce qui nous arrive. C’est se battre contre la peur, contre la violence, contre nos angoisses. C’est refuser les règles établies sous peine de s’oublier. C’est faire partie d’un groupe qui ne se nomme pas, d’une sororité invisible qui ne se doute même pas de sa force incroyable. J’en ai marre d’être femme, mais je n’échangerais les rôles pour rien au monde. Je suis femme et fière, fière de voir que nous sommes de plus en plus nombreuses à nous battre partout dans le monde, avec nos spécificités, avec nos obstacles, avec nos moyens. Je suis fière de nous voir parler de plus en plus fort, rire, râler, hurler, faire du bruit. Je suis fière d’être une femme, et ça vaut toutes les positions dominantes du monde, car moi je n’ai pas besoin d’écraser qui que ce soit pour exister. 
Être une femme, c’est mériter la lune. Et aller la décrocher soi-même."